22日本因广岛而投降

 

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Le Japon a capitulé en raison d’Hiroshima

par Bruno Birolli

Le 15 août 1945, sortant de son silence pour parler à la radio, l’empereur Hirohito enjoint au peuple japonais de « supporter l’insupportable ». L’« insupportable » en question est la capitulation sans conditions du Japon.

Qu’est-ce qui pousse Hirohito à opter pour la paix, lui qui est resté muet ou, pire, complice du militarisme japonais pendant les quatorze années d’agressions qu’a commises le Japon ? La réponse qui vient spontanément à l’esprit est l’impact dévastateur des bombardements atomiques d’Hiroshima, le 6 août 1945, et de Nagasaki, le 9 août 1945. C’est la destruction de ces deux villes, réduites en cendres par ces armes terrifiantes, qui a contraint Tokyo a jeté l’éponge.

Cette analyse est univoque et néglige un facteur décisif : l’entrée en guerre de l’Union soviétique le 9 août 1945, trois jours après Hiroshima et quelques heures avant Nagasaki, et la conquête foudroyante de la Mandchourie qui suivit par l’Armée rouge au cours de la plus massive offensive de la Seconde Guerre mondiale.

Une guerre contre le Japon, Staline l’envisage depuis 1943, mais il veut éviter à l’URSS de combattre sur deux fronts. Il conditionne son engagement à l’élimination préalable de l’Allemagne nazie. À Yalta, en février 1945, Staline renouvelle son intention en précisant qu’il se retournera contre le Japon trois mois après la fin des opérations en Europe afin de donner à l’Armée rouge le temps de se déployer en face de la Mandchourie. En avril, alors que le régime nazi est à l’agonie, Staline dénonce le pacte de non-agression que l’URSS a signé avec le Japon en 1941. À partir du mois de mai, Staline transfère en Extrême-Orient les corps d’armée qui ont vaincu l’Allemagne. En juillet 1945, réunis dans la ville de Potsdam – l’ancienne résidence du roi de Prusse Frédéric le Grand –, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la République de Chine renouvellent leur ultimatum au Japon en le menaçant d’une « destruction totale » s’il ne dépose pas les armes. Lors de l’ouverture de cette conférence, le président américain Harry Truman a averti Staline que les États-Unis ont testé quelques heures plus tôt avec succès une bombe atomique et que les États-Unis sont résolus à employer cette arme pour faire plier le Japon. Cependant, loin d’être convaincu que l’atome mettra un terme à la guerre, Truman insiste pour que l’URSS entre dans la mêlée le plus rapidement possible. Staline accepte. Il ne veut pas être exclu du redécoupage de l’Extrême-Orient qui suivra le démembrement de l’Empire japonais.

Au début d’août 1945, l’Armée rouge est prête. En trois mois, plus d’1,5 million de soldats, 30 000 pièces d’artillerie et tubes lance-roquettes, environ 5 500 blindés et canons d’assaut, 86 000 véhicules divers et 3 800 avions ont été acheminés à travers la Sibérie et massés à la frontière du Mandchoukouo, ce pseudo-État indépendant créé en 1932 par les militaires japonais. Jamais l’Armée rouge n’a concentré autant de moyens, il est vrai qu’elle va se lancer à la conquête d’un territoire aussi vaste que l’Europe de l’Ouest.

Le plan de défense japonais

Face à l’Armée rouge aguerrie, pleinement soutenue par une industrie de l’armement au maximum de ses capacités et bénéficiant d’un réseau de voies de communication intactes, la puissance japonaise n’est que l’ombre de ce qu’elle était. L’archipel est isolé. Ses centres industriels sont systématiquement détruits par l’US Air Force et ses liaisons maritimes avec les territoires encore en sa possession sont coupées par les sous-marins et la flotte de surface des Américains qui s’aventurent jusqu’au bord des côtes de l’archipel pour couler les derniers navires japonais.

Le Japon conserve cependant un dernier atout : la Mandchourie. Cette région est à la limite ou hors du rayon d’action des bombardiers américains et a été épargnée par les bombardements. Quelques raids aériens ont été tentés contre Shenyang – appelée alors Moukden – et d’autres centres industriels, mais sans causer de grands dommages. Fleuron de l’armée impériale avant 1941, l’armée du Kwantung casernée en Manchourie reste, avec les corps d’armée occupant la Chine, la dernière force organisée du Japon.

Cette armée forte de 700 000 hommes sur le papier est en réalité appauvrie par les prélèvements opérés pour renforcer d’autres secteurs comme la Birmanie. Si selon les critères japonais, l’armée du Kwantung est bien équipée, comparé aux moyens des Alliés, son armement est largement surclassé dans la plupart des domaines. Elle manque de pièces antichars : ses fusils antitank modèle 97 et ses canons modèles 98 (20 mm) et 41 (47 mm) sont d’un calibre trop faible contre les épais blindages soviétiques. Comme dans le reste de l’armée impériale, ses blindés sont en majorité des chenillettes – modèles 94 et 97 Te-Ke – et des tanks légers – modèle 95 Ha-Gô –, conçues pour soutenir l’infanterie et non pour combattre d’autres blindés. Les canons de ses chars moyens – modèles 89 A Chi-Ro et 94 et le dernier-né, le 97 Chi-Ha – sont impuissants à percer l’acier de leurs homologues soviétiques, alors qu’eux-mêmes sont vulnérables aux charges creuses de leurs adversaires. L’armée du Kwantung paie le choix du haut commandement d’avoir sacrifié l’arme blindée par fidélité à une doctrine qui privilégie l’infanterie et par mesure d’économie [1]. L’aviation, environ 2 000 appareils, a été dépouillée de ses meilleurs appareils qui ont été remis aux escadrilles de kamikazes du Pacifique.

L’infanterie, clé de voûte de l’armée du Kwantung, est gonflée par l’apport de supplétifs locaux et de Coréens enrôlés de force, qui n’ont ni la loyauté ni le mordant des effectifs exclusivement japonais. Des unités de cavalerie de Russes blancs encadrés par le Parti fasciste de toute la Russie du général tsariste V.A. Kislitsin ont été constituées, elles aussi d’une valeur militaire négligeable [2]. Enfin, le commandement n’est pas des plus brillants. Les officiers les plus compétents ont été envoyés au feu dans d’autres régions.

Face à la menace soviétique, l’armée du Kwantung a opté pour une stratégie inspirée des batailles du Pacifique. Il ne s’agit plus de frapper l’adversaire de toutes ses forces à la recherche de la bataille d’anéantissement, de vaincre en un coup de dés par un choc frontal, comme le veulent les principes stratégiques enseignés au Japon depuis le XIXe siècle. Depuis la fin 1942, les Japonais sont contraints à la défensive. Ils s’enterrent dans des points d’appui ingénieusement disposés afin de faire payer chèrement à l’adversaire sa progression. De l’agressivité offensive, la stratégie de l’armée impériale a viré à une guerre d’usure sans merci où elle sacrifie jusqu’au dernier homme.

Prenant en compte que la plaine centrale de Mandchourie est favorable aux blindés soviétiques, le plan japonais vise à retarder sur la frontière l’entrée de l’Armée rouge et à donner le temps à l’armée du Kwantung de se replier dans les zones montagneuses de la frontière coréenne. Sous l’emprise de sa certitude que le fantassin japonais est le meilleur du monde, le commandement japonais entend par cette manœuvre regagner l’avantage en forçant les Soviétiques à combattre à pied dans ces régions escarpées et boisées défavorables aux blindés. L’expérience acquise contre les Américains se reflète là encore : l’armée impériale abandonne les espaces ouverts – les plages dans le cas des îles du Pacifique – et privilégie les possibilités de fortification qu’offre un relief accidenté et couvert de végétation.

Derrière ce plan japonais se cache également un vieux raisonnement stratégique. L’objectif n’est pas de conserver la Mandchourie, dont les Japonais savent de longue date la vulnérabilité, mais de se servir de cette région comme zone tampon, en faire un glacis protégeant la Corée. Annexée à l’Empire depuis 1910, la péninsule n’est séparée du Japon que par l’étroit détroit de Tsushima à peine large de 100 kilomètres et d’autant plus facile à traverser qu’il y a en son milieu l’île qui a donné son nom à ce goulet entre la mer du Japon et la mer Jaune. La péninsule est de fait un excellent tremplin pour un débarquement dans l’archipel. C’est pour verrouiller cette porte béante dans la défense de l’archipel que le Japon est entré en guerre contre la Russie en 1904, et c’est pour cette même raison que l’armée du Kwantung prépare son repli dans le sanctuaire montagneux de la frontière coréenne. Les Japonais sont au bout d’une réflexion stratégique commencée lors de la guerre russo-japonaise. Mais si à l’époque cette réflexion était pertinente, quarante ans plus tard, pendant l’été 1945, elle n’a plus rien à voir avec une compréhension rationnelle des rapports de forces. Elle se nourrit de la foi inébranlable que le sens du sacrifice du soldat japonais peut inverser le cours de l’Histoire.

Pour résumer, l’objectif n’est pas de battre les Soviétiques, mais de les user de la même façon que les Japonais essaient de saigner les Américains dans le Pacifique. Il ne s’agit plus de vaincre, mais d’écœurer l’adversaire en portant ses pertes humaines à un niveau insoutenable.

Le plan japonais comporte une faiblesse structurelle : c’est l’erreur que répète rigidement le haut commandement japonais depuis les années 1930. Ses anticipations ne sont que les projections de la façon dont les Japonais mèneraient campagne s’ils avaient l’initiative. Leurs raisonnements correspondent parfaitement aux moyens militaires dont ils disposent, mais ignorent les profondes évolutions que la guerre en Europe a entraînées entre 1939 et 1945. En 1931, l’armée du Kwantung, dépourvue de blindés – si on fait abstraction de quelques chars Renault T4 qui n’ont pas vraiment été utilisés à cause du gel –, a conquis la Mandchourie en suivant les lignes de chemins de fer. Les Japonais en déduisent que c’est par ces mêmes accès qu’entreront les Soviétiques. Et c’est ainsi que, puisque la frontière avec la Mongolie est inaccessible par le train, ils négligent de la fortifier. Or, c’est par ce ventre mou que les chars soviétiques vont s’engouffrer et conduire une des Blitzkriegs les plus spectaculaires de la Seconde Guerre mondiale.

L’offensive soviétique

Le 9 août 1945, à 4 heures du matin, l’Armée rouge déclenche son offensive. Les services de renseignements soviétiques ont percé les intentions japonaises et les opérations ont été adaptées en conséquence. L’offensive est générale et elle suit trois axes. Un assaut dans le sens est-ouest part de la province maritime entre Khabarovsk et Vladivostok. Simultanément, les forces soviétiques franchissent le fleuve Amour et dévalent en direction du sud. Mais ces deux fronts ne sont pas conçus pour porter le coup fatal. Ils sont des manœuvres pour morceler, fixer et tromper l’armée du Kwantung. Le cœur de l’offensive soviétique part de Mongolie-Extérieure. En optant pour un mouvement en tenaille à travers la steppe, les Soviétiques maximalisent la maîtrise de l’arme blindée qu’ils ont acquise face aux Allemands.

L’armement de ces trois fronts répond au rôle qui leur est assigné. Les fronts de l’est et du nord concentrent une importante artillerie lourde et de l’infanterie d’assaut afin de faire sauter les bunkers de la frontière, tandis que les corps d’armée à l’ouest, dont la mission est de réaliser la percée décisive, sont essentiellement des régiments blindés, dont la célèbre division d’élite de la Garde.

Bien informés sur les faiblesses en moyens antichars de l’armée du Kwantung grâce aux émigrés russes installés en Mandchourie et aux déserteurs coréens ou d’origine chinoise de l’armée du Kwantung, les Soviétiques se privent volontairement de leurs T-34, mieux armés mais trop lourds, et préfèrent des chars légers beaucoup plus rapides. Le succès du plan soviétique repose sur la vitesse.

L’île de Sakhaline, dont la moitié sud est japonaise depuis la guerre russo-japonaise, n’est pas oubliée. Le 11 juin, d’autres régiments percent la ligne de blockhaus qui marque le 50e parallèle délimitant les deux pays. Le même jour, des débarquements ont lieu au nord de la côte est de la Corée.

L’Armée rouge a recours à l’ensemble des tactiques qui lui ont assuré d’écraser la Wehrmacht : phénoménaux barrages d’artillerie, bombardements aériens incessants sur les arrières, mouvements tournants orchestrés par des concentrations de chars. Néanmoins, dans l’est, les Soviétiques innovent en employant des flottilles de monitors et de barges qui remplacent les chars et l’artillerie handicapés par les marécages gonflés par les pluies de l’été et l’absence de routes carrossables. Ces péniches fortement armées remontent la rivière Sungari, un affluent du fleuve Amour qui traverse de haut en bas la Mandchourie, et soutiennent avec leurs pièces de 150 mm les débarquements qui prennent à revers les points d’appui japonais. Ces opérations encadrées par une aviation omniprésente restent dans les annales comme un exemple assez rare de guerre fluviale menée à la fois sur l’eau, sur la terre et dans le ciel.

Le pari du commandement japonais de bloquer l’avance de l’Armée rouge, ou au moins de la retarder, échoue. Constamment débordée, l’armée du Kwantung est incapable de se regrouper. L’infanterie japonaise fait montre d’un fanatisme qui choque les vétérans des durs combats en Europe. Jamais les Allemands n’ont fait preuve d’une telle détermination. Pour pallier le manque d’armes antichars, les soldats japonais se jettent en masse sous les chenilles des blindés en serrant une mine ou avec une charge de dynamite. Les contre-attaques sont conduites comme dans le Pacifique sous la forme de charges banzaï à la baïonnette, que le feu soviétique hache [3]. Ces sacrifices sont vains. Malgré sa résistance suicidaire, l’armée du Kwantung s’effondre.

Les Japonais paient le prix d’une conception de la guerre obsolète. Ils n’ont pas compris le rôle que les blindés ont joué pendant la bataille de Nomonhan – Khalkhin-Gol pour les Russes – contre les Soviétiques six ans plus tôt. En revanche, cette suite d’affrontements limités et étalés de mai à juillet 1939 a servi de terrain de manœuvres au futur maréchal Gueorgui Joukov. C’est dans ce coin infesté de moustiques, entre la Mongolie-Extérieure et le Mandchoukouo, que les Soviétiques testent et affinent les principes de l’interaction entre artillerie, blindés et infanterie d’assaut qu’ils vont opposer avec succès aux Allemands et qu’ils portent à leur sommet contre les Japonais en août 1945.

L’antagonisme russo-japonais

La perte de la Mandchourie est un désastre pour le Japon car l’Armée rouge est désormais en position de participer activement à l’invasion de l’archipel que les Américains planifient pour le printemps 1946. Politiquement, c’est aussi un revers d’ampleur. S’évanouit l’espoir d’une paix honorable grâce à l’intervention de Staline. C’était une idée illusoire, mais le Japon s’y raccrochait désespérément.

Les Japonais avaient certes conscience qu’avec la chute d’Hitler, plus la guerre durerait en Asie et plus Staline serait tenté de participer à la curée, mais ils n’envisageaient pas de confrontation avec l’URSS avant le printemps 1946. Ils croyaient pouvoir profiter de ce répit pour convaincre Staline de servir de médiateur entre le Japon et les Anglo-Saxons.

Certes, Staline est vu en héritier de l’Empire tsariste, et donc en dangereux rival dans la course à l’hégémonie en Asie du Nord-Est. Cette concurrence à l’origine de la guerre russo-japonaise de 1904 se poursuit pendant la première moitié du XXe siècle. Le Japon tente de profiter de chaque faiblesse de son voisin pour le chasser d’Extrême-Orient. En 1920, il envoie un corps expéditionnaire de 30 000 soldats occuper la vallée du fleuve Amour et essaie de rafler la Sibérie en rameutant les débris des armées tsaristes.

En 1932, encouragée par son invasion victorieuse de la Mandchourie, l’armée du Kwantung croit l’heure venue de croiser le fer avec l’Armée rouge qui se relève à peine des désordres de la révolution d’Octobre. Battre l’URSS avant que ses forces militaires se soient modernisées devient l’obsession de Kodoha, ou la Voie impériale, une des factions militaristes à l’intérieur de l’armée impériale qui fait basculer le Japon dans le fascisme. Le ministre de la Guerre de l’époque, Araki Sadao, milite ardemment pour frapper l’URSS avant 1936, date à laquelle l’Armée rouge sera à parité avec l’armée impériale ; ensuite elle la dépassera en puissance, selon les services de renseignements japonais.

La « crise de 1936 », comme les militaires japonais surnomment cette échéance, passe, car Staline, que préoccupe la situation en Europe, lâche du lest en prenant une posture purement défensive le long du fleuve Amour. La hantise d’un retour offensif soviétique autant que le soutien militaire que Staline apporte à la Chine qui résiste depuis 1937 à l’invasion japonaise poussent l’armée du Kwantung à orchestrer à l’insu de Tokyo l’affrontement de Nomonhan, pariant qu’une fois les combats commencés le quartier général impérial sera dans l’obligation d’envoyer des renforts et que ce sera l’escalade débouchant sur une guerre pour la maîtrise de la Sibérie.

Cette façon de forcer la main à Tokyo est symptomatique de la spirale de conflits qui entraîne le Japon dans des confrontations de plus en plus vastes avec des adversaires de plus en plus puissants. C’est une dérive plus qu’une stratégie réfléchie ; une politique de la surenchère et du fait accompli imposée par le corps des officiers [4]. Mais échaudé par la vigueur de la réaction soviétique à Nomonhan, préoccupé parce que ses forces s’embourbent en Chine, le commandement suprême met cette fois au pas l’armée du Kwantung. L’échec à Nomonhan réoriente la stratégie japonaise. Ce n’est plus vers le nord que l’expansion japonaise va se faire, mais en Asie du Sud-Est, et donc au détriment des puissances anglo-saxonnes qui prennent la place de l’URSS comme ennemi prioritaire du Japon [5].

Paradoxalement, tout en étant farouchement anticommunistes et sous-estimant la valeur du soldat russe qu’ils ont battu en 1905, les militaires japonais éprouvent une certaine admiration pour Staline. Bien que pourchassé à l’intérieur de l’Empire japonais, le communisme est perçu en allié naturel contre le capitalisme et le libéralisme anglo-saxon. Cette idée est vieille. Dès 1921, l’idéologue Yoshi Kuno prédit dans What Japan Wants que si les Anglo-Saxons refusent au Japon les portions du territoire chinois qu’il réclame, le Japon s’alliera avec l’URSS et l’Allemagne, et que cette alliance, « une des plus formidables que connaîtra l’histoire [6] », sera le prélude à une seconde guerre mondiale.

Pendant les années 1930, le totalitarisme soviétique est une source d’inspiration pour les militaristes japonais. Ils copient le premier plan quinquennal initié par Staline pour transformer la Mandchourie en complexe militaro-industriel, puis militariser les industries du Japon [7].

Pendant tout l’été 1945, à l’instar de Joseph Goebbels qui fantasme après le débarquement de Normandie en 1944 sur un hypothétique éclatement du camp allié [8], les Japonais rêvent que les contradictions entre l’URSS et les États-Unis vont éclater au grand jour et sauver le Japon. Certains envisagent des renversements d’alliances tels que le Japon devenant l’allié des États-Unis contre l’URSS, d’autres le voient du côté de l’URSS contre les États-Unis [9].

Le soulagement américain

Aucun doute ne subsiste sur l’issue de la guerre au début août 1945, mais la fin du conflit paraît lointaine. La résistance japonaise reste acharnée. La bataille d’Okinawa l’a démontré une nouvelle fois. Il a fallu quatre-vingt-deux jours de combats terribles entre avril et juin 1945 à une armada anglo-américaine plus imposante encore que celle du débarquement en Normandie pour venir à bout de cette île au sud de l’archipel. Le bilan de cette conquête est sanglant : 14 000 morts et 50 000 blessés chez les Alliés. Ces lourdes pertes incitent les Américains à passer à une étape encore plus brutale dans la guerre aérienne qu’ils mènent contre le Japon avec le recours à la bombe atomique. Mais ils ne sont pas convaincus que cette arme leur épargnera de mettre des troupes au sol et ils redoutent une campagne sanglante en vies américaines.

Car Tokyo refuse de capituler. Depuis plusieurs mois, ses émissaires sondent les pays neutres, le Portugal, le Vatican et l’URSS, pour servir d’intermédiaires à d’éventuels pourparlers. Depuis juillet, Tokyo se déclare prêt à envoyer ses émissaires en Europe négocier avec les Alliés qui occupent l’Allemagne. Le prince Konoe Fumimaro est pressenti pour prendre la tête de cette délégation et il envisage de faire halte au cours de son voyage à Moscou pour y recevoir l’appui de Staline. Ce choix de Konoe montre à lui seul la fragilité des intentions japonaises. Konoe a certes démissionné en 1941, quelques semaines avant Pearl Harbor, de son poste de Premier ministre pour manifester son opposition à la décision d’attaquer les États-Unis, mais c’est lui qui en 1937 a décidé Hirohito à envahir la Chine puis a mis en marche la militarisation du Japon.

En réalité, l’entêtement affiché par Tokyo relève plus de la paralysie que du consensus. L’élite japonaise est profondément divisée. La cour a intégré l’idée que la guerre est perdue et l’entourage de l’empereur est prêt à sacrifier l’Empire conquis depuis la fin du XIXe siècle en contrepartie de l’assurance que le souverain sauvera sa couronne. La hantise du palais est de le voir connaître le sort du Kaiser Guillaume déposé après la défaite allemande de 1918. La priorité de la cour est de préserver le Kokutai – cette organisation mystico-nationaliste qu’incarne l’empereur et qui sert de justification au système politique en associant l’identité et la survie du Japon en tant que nation aux liens soudant le peuple à l’institution impériale. Or, depuis le printemps, affamée par un rationnement de plus en plus sévère, affolée par les raids quasi quotidiens de l’aviation américaine qui bombarde et mitraille impunément villes et villages, démoralisée par les reculs successifs dans le Pacifique, la population gronde de plus en plus ouvertement contre le souverain et l’accuse d’être le responsable des désastres que connaît le pays. Il est donc impératif pour sauver Hirohito de mettre rapidement fin à la guerre.

En revanche, le haut commandement s’enferme dans le syndrome des Maccabées – ces Juifs assiégés par les Romains qui ont préféré le suicide à la reddition (IIe siècle avant J. -C.). Les militaires croient le Japon toujours invaincu parce qu’ils conservent une partie de la Chine et toute la Mandchourie. En réponse à l’ultimatum de Potsdam, ils n’envisagent le cessez-le-feu que si quatre conditions sont remplies : que la monarchie soit maintenue, que la démobilisation soit organisée par le quartier général impérial sans intervention des Alliés, qu’il n’y ait pas d’occupation et donc pas de soldats étrangers foulant le sol sacré du Japon, que les officiers accusés de crimes de guerre soient jugés par des tribunaux militaires japonais.

Optimistes dans un premier temps, les Américains déchantent bien vite, d’où leur intransigeance à Potsdam et leur insistance pour que Staline envahisse la Mandchourie. Alors, lorsque la nouvelle de l’invasion de la Mandchourie est connue à Washington, c’est le soulagement. Le vice-amiral John H. Cassady, commandant en second des opérations navales, donne à chaud la mesure du sentiment américain. Le blocus du Japon est imparfait à cause de la mer du Japon, « nous ne disposons d’aucune base dans cette région et même si la marine impériale est détruite, faire entrer nos navires dans cette mer confinée est une manœuvre risquée. Il est évident que la nouvelle [de l’entrée en guerre de l’URSS (NdlA)] résout ce problème. Maintenant le Japon a sur son flanc nord-ouest non seulement une des plus grandes armées du monde, mais ces territoires permettent de monter de puissantes attaques aériennes contre ses installations industrielles et militaires… Nous pouvons maintenant préparer l’invasion du Japon avec davantage de confiance. Cela ne signifie pas que la guerre a été gagnée. Mais notre mission a été allégée et nous avons toutes les raisons pour croire que la durée a été considérablement écourtée [10] ».

Le New York Time juge que le Japon est désormais dans une situation encore plus calamiteuse que l’Allemagne après l’échec de sa dernière tentative de contre-attaque dans les Ardennes. Le lendemain, le même journal précise son analyse : « L’espoir que le Japon gardait de diviser les Alliés, de repousser l’assaut final contre lui en le faisant payer chèrement aux Alliés par des attaques-suicides est maintenant caduc. Son empire volé est coupé en deux par les forces anglo-américaines en mer et chinoises sur terre ; avec ses îles soumises à un blocus et à des raids aériens dévastateurs, le Japon doit faire face maintenant à un assaut direct sur sa dernière position et par bien des aspects la plus solide – la Manchourie. C’est là que le Japon a regroupé ses industries de guerre et que sont basées les forces les plus puissantes qui lui restent – l’armée du Kwantung. Comme l’Allemagne, le Japon doit maintenant mener une guerre sur deux fronts qu’il est encore moins capable de conduire que son ancien allié. »

Le général Douglas MacArthur voit lui aussi clairement l’avantage militaire de l’intervention soviétique. Il diffuse le jour de l’entrée en guerre de l’URSS le communiqué suivant : « Je suis ravi de l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon. Elle rend possible un grand mouvement de pince qui ne pourra échouer à détruire l’ennemi. En Europe, la Russie était le front est, les Alliés étaient à l’ouest. Maintenant, nous sommes l’est et la Russie est l’ouest, mais le résultat sera le même [11]. »

Les Soviétiques libèrent les Américains de leur hantise de voir l’armée du Kwantung transférée de Mandchourie et se retrancher au Japon. C’est donc, sur le moment, plus que l’effet des deux bombardements atomiques, l’impact de l’entrée en guerre des Soviétiques qui marque les stratèges américains.

Hirohito est réincarné en pacifiste

Les réactions à l’intérieur du palais impérial à la destruction d’Hiroshima, puis au déferlement soviétique et au bombardement de Nagasaki restent mal connues. Les participants aux délibérations ont gardé le secret ou n’ont livré que des informations parcellaires et favorables à l’empereur. Ces trois événements qui s’enchaînent dans un laps de temps très court donnent à l’entourage d’Hirohito de solides arguments pour imposer aux militaires de déposer les armes. Pour sauver le trône, il faut réinventer son occupant. De chef de guerre belliqueux et indifférent au sort de ses sujets, Hirohito est transformé, pendant ces quelques journées décisives, en pacifiste bienveillant prisonnier d’une coterie d’extrémistes [12]. Après avoir hésité un jour à sauter le pas, Hirohito ordonne à Kido Koichi, le gardien du sceau impérial et son conseiller le plus proche, de rédiger le rescrit mettant fin à la guerre.

Afin d’éviter toute allusion pouvant d’une manière ou d’une autre incriminer l’empereur et le rendre responsable de la guerre et de la défaite, les deux érudits chargés de rédiger le texte peinent pendant trois jours avant de rendre une copie d’un style archaïque plein de circonvolutions alambiquées à peine compréhensibles. Le texte final est soumis dans la nuit du 14 août 1945 à Hirohito qui le lit le lendemain à midi sur les ondes.

La défaite de l’Allemagne et l’entrée en guerre de l’URSS sont évoquées par cette phrase sibylline : « La tendance générale dans le monde s’est retournée contre [nos] intérêts. » L’allusion à la bombe atomique est en revanche plus explicite : la colossale puissance dévastatrice de l’atome frappe les esprits et c’est pour « sauver la civilisation humaine… d’une totale extinction » que le Japon capitule – même si ni ce mot ni celui de reddition ne sont jamais prononcés.

Avant même la fin des hostilités, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale est donc en train d’être réécrite. Dans les semaines qui suivent la capitulation, le rôle joué par l’URSS dans la défaite du Japon est reconnu. Le prince Higashikuni Naruhiko, nommé Premier ministre le 16 août 1945, admet dans son premier discours devant le Parlement le 5 septembre 1945 que la déclaration de guerre de l’URSS a mis le Japon dans « la pire situation possible ». Mais en même temps, le chef du gouvernement de transition reprend le mythe présentant la bombe atomique comme unique cause de la défaite japonaise. C’est pour sauver le Japon et sa population de ces terribles bombes qu’Hirohito a fait déposer les armes « dans l’intérêt de la paix et de l’humanité [13] ».

Au fil des années, cette narration va se développer. L’invasion de la Mandchourie en 1931, puis de la Chine en 1937 et la campagne de Mandchourie en 1945 – pourtant étapes déterminantes dans la Seconde Guerre mondiale en Asie – passent à la trappe. Ce n’est pas non plus à cause d’erreurs stratégiques que le Japon a perdu la guerre, mais en raison de l’emploi par les Américains d’armes inhumaines.

Le réflexe naturel des historiens à se focaliser sur la partie de l’histoire qui concerne leur pays enracine ce récit aux États-Unis. Mais l’oubli du rôle de l’URSS relève également de motivations plus politiques. Alors que la guerre froide n’a pas encore commencé, au début septembre 1945, les Américains évincent les Soviétiques de l’occupation du Japon qui devient une affaire exclusivement américaine – si on fait abstraction de la présence d’un petit contingent australien basé à Hiroshima, qui n’a toutefois aucun rôle politique. Reconnaître les mérites de l’Armée rouge reviendrait à concéder une place à l’URSS dans la réorganisation de la société japonaise.

La guerre froide s’installe en Asie et, plus tôt qu’en Europe, dégénère en confrontation militaire, en Chine avec la guerre civile que gagne Mao Zedong (1949), puis en Corée (juin 1950). Mettre l’accent sur les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki et blanchir Hirohito est indispensable pour faire du Japon le pilier asiatique du système de défense américain.

 

 

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