14 巴頓,美國最優秀的將軍 作者:尼可拉斯‧A‧烏賓

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Patton, le meilleur général américain

par Nicolas AUBIN

George Patton, charismatique commandant de la 3e armée, est indiscutablement le plus célèbre général américain de la Seconde Guerre mondiale. Ses pistolets chromés, ses frasques avec Montgomery, ses injures, son impétuosité ont marqué les esprits au point d’éclipser tous les autres chefs d’armée alliés. Mais célébrité rime-t-elle avec efficacité ? Certainement, à en croire ses ennemis. Les généraux allemands ont vu en lui leur plus dangereux adversaire. « Votre Guderian », dit Jodl, « votre meilleur élément », surenchérit Rundstedt. Pour l’historien Carlo D’Este, Patton est un « génie de la guerre » et il inspire toujours des centaines de jeunes officiers. Pourtant, la question de sa performance n’a jamais été vraiment étudiée par ses biographes, à l’exception de l’essai confidentiel d’Hubert Essame et de la récente biographie de Benoît Rondeau qui renforcent le mythe1.


Qu’est-ce qu’un bon général de la Seconde Guerre mondiale ? Patton estime que la grandeur d’un chef réside dans sa capacité à insuffler un esprit guerrier à ses soldats et à les mener au feu. On peut y ajouter l’aptitude à maîtriser et améliorer l’outil mis à sa disposition, son influence sur l’art de la guerre et bien sûr sa capacité à influer positivement sur le déroulement des campagnes militaires en concevant et conduisant des opérations utiles à la stratégie générale, ce qui implique de savoir travailler en équipe.


Un leader mais pas un penseur

Concernant le leadership, Patton est un expert de la transformation du civil en combattant. Il a également le don pour construire une unité aux rouages bien huilés et à la doctrine claire. Il veille à imprimer sa marque à ses subordonnés, n’hésitant pas à les malmener pour qu’ils se fondent dans le moule et pour pouvoir ensuite leur déléguer sans crainte la conception et l’exécution des opérations. En mars 1943, devant redresser le 2e corps américain étrillé à Kasserine, en Tunisie, il se déplace tel un tourbillon, toutes sirènes hurlantes, rend visite à chacune des compagnies de ses quatre divisions pour regonfler ses hommes. Il corrige, cajole, pousse en avant, tance les commandants défaillants, impose une discipline de fer car, pense-t-il, associée à la simplicité des mouvements et à l’élasticité des formations, celle-ci épargne des vies au combat. Il agit en patriarche, dont la proximité, le charisme, les discours fleuris, le souci d’améliorer l’ordinaire et la propension à récompenser – « Une guerre se gagne avec des médailles » – lui assurent l’affection et l’adhésion de sa troupe. Patton paie aussi de sa personne, veillant à être un modèle irréprochable. Indiscutablement, c’est un manager de haut niveau. Mais il n’est pas pour autant novateur, et ses méthodes sont puisées dans les plus anciennes traditions militaires occidentales. De plus, cela n’est pas sans dérapages, en témoignent les gifles infligées à des soldats victimes de chocs post-traumatiques en Sicile. Le courage pour Patton est une qualité acquise. Il a longtemps mis le sien à l’épreuve avec un certain masochisme, demandant à son professeur de sciences de l’électrocuter puis n’hésitant pas, en 1918, à parader avec ses galons sous le feu tel un trompe-la-mort. Il ne peut comprendre que tous les soldats américains ne puissent se hisser à sa démesure. Dans les premières années, le souci de donner l’exemple se fait au détriment de la conduite effective des opérations. En 1918, alors à la tête de cent cinquante chars, Patton passe son temps en première ligne, haranguant, suant pour extraire les chars de la boue et donnant l’assaut avec six soldats avant d’être blessé. En novembre 1942, alors qu’il dirige le débarquement de 30 000 hommes au Maroc, on le retrouve déchargeant lui-même les péniches. Une telle posture conduit le colonel Patton de 1918 et le général Patton de 1942 à n’avoir pas plus d’influence sur le cours de la bataille qu’un simple sergent.


Une autre vertu d’un bon général réside dans la connaissance des affaires militaires et des aptitudes de son armée. En ces domaines, Patton ne craint personne. Passionné par la guerre dès l’enfance, il a dévoré tous les classiques, disséqué toutes les grandes batailles. Des cités comme Agrigente, en Sicile, ou Metz n’ont pas de secret pour lui car elles ont fait l’objet de sièges que Patton connaît par cœur. Il dispose d’un bagage théorique – diplômé de West Point, de la Cavalry School, du Command & General Staff School (l’École du commandement et des fonctions d’état-major, passage obligé pour les futurs officiers généraux) et de l’académie militaire de Carlisle, stagiaire à l’école de cavalerie de Saumur – complété par un solide savoir-faire pratique. En 1917, il conduit des chars, les répare, essaie chaque équipement, conçoit et supervise exercices et manœuvres afin d’obtenir la meilleure synergie entre le matériel et le combattant, et ainsi améliorer la performance d’ensemble de son unité. Ses visites incessantes lui permettent de sentir ses hommes. Il comprend immédiatement que le char n’a d’efficacité qu’à condition d’être convenablement ravitaillé et entretenu. Il a conscience des difficultés d’emploi des lourdes divisions blindées et tient compte de facteurs souvent méprisés, comme la logistique ou le renseignement. Peu d’officiers généraux peuvent se prévaloir d’aussi bien connaître leur outil que Patton.


Patton n’est pas un théoricien. Il ne donne pas suite à quelques articles publiés au début des années 1920 en faveur des chars dès qu’il comprend que sa carrière peut en souffrir, la mécanisation ayant de puissants adversaires alors. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses consignes reprennent les valeurs communes à l’US Army : primat du feu, importance de l’initiative, posture résolument offensive, recherche de l’annihilation de l’adversaire. « Le seul principe tactique intouchable est celui-ci : utiliser tous les moyens disponibles pour infliger le maximum de pertes à l’ennemi dans le minimum de temps. […] Vous ne serez jamais trop puissants. […] Nos mortiers et nos canons sont des armes superbes… quand ils tirent. Quand ils sont muets ils sont parfaitement inutiles, aussi faites-les tirer ! On gagne les batailles en faisant peur à l’ennemi. Il aura peur s’il a des morts et des blessés. C’est le feu qui fait les morts et les blessés. […] EN CAS DE DOUTE, ATTAQUEZ2 ! » Il se démarque quelque peu par l’importance qu’il accorde au rythme de la bataille. « Une bonne solution mise en pratique immédiatement est préférable à une solution parfaite dix minutes plus tard. » Il a conscience de l’effet démultiplicateur de la manœuvre une fois l’ennemi déséquilibré. C’est pour cette raison qu’à l’instar de la tactique allemande, il laisse une grande liberté de manœuvre à ses subordonnés – « les ordres doivent dire ce qu’il faut faire et non comment le faire3 » – et les encourage à « ne jamais se mesurer à la force de l’ennemi mais à sa faiblesse ». Nous sommes cependant loin de la profonde pensée systémique de Montgomery ou des théories de bataille à l’échelon opératif mises au point par les stratèges soviétiques de l’entre-deux-guerres.


Des performances contrastées

Chef de terrain, Patton, qui commande un corps d’armée en Afrique du Nord puis une armée en Sicile et en France, a l’occasion de peser sur le déroulement des campagnes. Il mène avec brio une exploitation – non une percée – au cours de l’été 1944 où, en cinq semaines, il projette son armée de la Normandie à la Lorraine en passant par la Bretagne et les bords de Loire. À Avranches, il démontre son savoir-faire dans la gestion des flux, évitant l’écueil des embouteillages à l’origine de tant d’échecs. Il sait conserver le contact avec ses pointes au-delà de la portée des radios en pilotant un petit avion capable de décoller d’un champ et en utilisant une unité de cavalerie dont les escadrons suivent les combattants et le tiennent informé directement. Il exécute ses mouvements après un gros travail de renseignement. « Patton n’a jamais ordonné un déplacement sans consulter son responsable du renseignement, Oscar Koch. […] Nous agissions en fonction de lui, se souvient Terry Allen. Cela explique pourquoi la 3e armée n’a jamais été surprise et s’est toujours engouffrée dans les angles morts de l’ennemi4. » Enfin, Patton sécurise ses ailes à l’aide de chasseurs-bombardiers qui patrouillent le long de la Loire et traitent immédiatement la moindre concentration de troupes ennemies, ce qui lui évite d’immobiliser de précieuses divisions en couverture.


À deux autres reprises, il confirme sa maestria. Au printemps 1945, il mène ses blindés du Rhin jusqu’à la Tchécoslovaquie, et surtout, en plein cœur de l’hiver précédent, il réussit l’exploit d’extraire le gros de son armée (300 000 hommes, près de 100 000 véhicules) du front de la Sarre pour porter secours à la 1re armée malmenée dans les Ardennes, à 200 kilomètres au nord, le tout en moins de soixante-douze heures. Deux fois moins de temps qu’il n’en faut à Montgomery, pourtant bien mieux placé. C’est ce génie du mouvement qui fascine ses adversaires.


Mais il s’agit là de l’arbre qui masque la forêt. Patton ne conduit que rarement une guerre mobile. Il planifie des batailles préparées en terrain difficile (montagne tunisienne au printemps 1943, Lorraine boueuse de l’automne 1944, massif boisé et enneigé de l’Eifel à l’hiver 1945), des traversées en force de cours d’eau (Moselle, Rhin), des assauts de positions retranchées (Metz, ligne Siegfried), des débarquements (Sicile). Mais, si aucune de ces batailles n’est désastreuse, il n’y a pas davantage d’exploit. Les succès sont mitigés. Surtout, jamais il ne parvient, à partir d’une situation figée, à basculer dans la guerre de mouvement qu’il convoite. Balayons une idée reçue. Patton n’est pour rien dans la percée en Normandie. Ladislas Farago l’a écrit en s’appuyant sur un projet rédigé par Patton en juillet 1944, mais qui se révèle être en fait une esquisse… de débarquement en Bretagne5. Ce sont Montgomery, Bradley et Collins qui ont planifié, déchiré le front et engagé l’exploitation. Patton l’accélère. L’unique exception réside dans la destruction de la 7e armée en Sarre-Palatinat au cours du mois de mars 1945, à une date où le front ouest se disloque en fait partout6.


S’il a l’œil pour saisir le mouvement, il n’a pas celui des changements de situation. Fin août, Patton fond sur Verdun. Il insiste sur les dangers de la moindre pause qui laissera le temps aux Allemands de se retrancher7. Le voilà justement immobilisé quatre jours par manque d’essence. Patton refuse pourtant d’en tirer la seule conséquence possible, et sa nouvelle directive se contente de reprendre la poursuite là où elle a été stoppée. Patton ne revoit ni ses objectifs – le Rhin – ni sa tactique – opérer dispersé pour profiter du réseau de circulation. Sans surprise, le franchissement improvisé de la Moselle tourne au massacre. Enlisé, il n’a qu’une idée en tête, retrouver sa liberté de manœuvre.


Dans les semaines suivantes, Patton peaufine une offensive de grand style pour franchir d’une traite la Lorraine, la ligne Siegfried et le Rhin, un bond de 150 kilomètres prévu en novembre. Le résultat le frustre. Après avoir pris Metz, ses hommes s’échouent sur les bords de la Sarre. Patton a avancé de 40 kilomètres en cinq semaines, mais il n’a rien conquis que les Allemands n’étaient disposés à céder. La ligne Siegfried n’est pas entamée. La faute au climat désastreux, un peu, à une conduite des opérations défaillantes, surtout. Le plan est trop ambitieux. En voulant courir deux lièvres à la fois – encerclement de Metz et poussée immédiate vers le Rhin –, Patton se disperse. En conséquence, l’enveloppement s’éternise, ce qui facilite l’évacuation des troupes allemandes. Par la suite, Patton perd le fil de sa manœuvre. Il multiplie les attaques d’opportunité sans jamais faire coopérer ses deux corps8. Il est ici victime de sa formation défaillante, l’incapacité des Américains en général à concentrer leurs forces et leur difficulté à penser les combats dans le temps étant systémiques. Cette bataille rappelle que Patton a du mal à fixer des objectifs raisonnables et, par voie de conséquence, à planifier une séquence opérative réaliste. Depuis août, il ne pense qu’à passer le Rhin le premier. Cette bataille rappelle aussi que Patton ne pense jamais la guerre dans sa globalité, car il est trop fasciné par les symboles et largement motivé par ses ambitions personnelles.


Un élément perturbateur dans la stratégie alliée

Conquérir une cité, franchir un cours d’eau, avaler des kilomètres sont pour Patton une fin en soi. Il n’est pas un stratège mais un collectionneur. Ainsi il s’obstine à prendre Metz, qui a perdu tout intérêt militaire, car personne, croit-il à tort, n’a conquis la forteresse depuis Attila. On retrouve le même défaut en Sicile. Après un débarquement difficile où les Germano-Italiens ont été tout proches de la rejeter à la mer, l’armée de Patton prend du retard. Montgomery, bloqué le long de la côte orientale et pressé de fondre sur Messine, empiète alors sur les itinéraires prévus pour les Américains au centre du front et les relègue dans une mission de couverture du flanc gauche britannique. Patton s’étrangle. Pas question de ne faire que de la figuration. Il ordonne alors à ses troupes de suivre la ligne de moindre résistance le long du littoral occidental qui les conduit jusqu’à Palerme après un raid de 250 kilomètres aussi spectaculaire qu’inutile : la décision se fait à l’est, à proximité du détroit de Messine, le cordon ombilical qui relie la Sicile à la botte italienne. L’année suivante, l’euphorie de la poursuite à travers la France lui fait perdre toute mesure. Il s’imagine gagner la guerre seul, en dix jours, avec seulement 9 divisions fonçant en Allemagne pour y sidérer le régime nazi9. Mais une telle action isolée n’a aucun sens et témoigne d’une profonde incompréhension des dynamiques de la guerre moderne, en particulier des qualités de résilience des armées industrielles et des contraintes logistiques. Francfort est à 1 000 kilomètres de Cherbourg, Berlin à 1 500 ! Nommé à la tête d’une armée, Patton atteint son plafond de compétence.


Cette cécité stratégique s’explique principalement parce qu’elle n’occupe qu’une position subsidiaire dans la pensée de Patton. La guerre n’est pour lui qu’une compétition, l’adversaire véritable n’est pas l’ennemi, mais l’unité voisine. Ses carnets sont empreints d’inquiétude dès qu’une autre armée lui vole la vedette. Le 28 juillet 1943, il écrit à son subordonné Middleton : « Il faut que nous prenions Messine avant les Anglais. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour nous aider à gagner la course. » Jouant sa propre partition, Patton en oublie la finalité militaire – détruire l’armée ennemie –, et quand la ville est finalement prise, trois semaines plus tard, les Germano-Italiens ont évacué l’île. Patton, persuadé d’avoir un destin, devient au fur et à mesure que la fin de la guerre approche un élément perturbateur ingérable, d’autant que sa nomination à la tête d’une armée lui offre un pouvoir de nuisance considérable. Quand il apprend qu’il est rationné en carburant fin août 1944, George rétorque à Bradley, qui lui rappelle les besoins des autres armées, qu’il se bat pour la 3e armée et « que le diable emporte le perdant. Que Monty et Hodges aillent se faire foutre10 ». Il n’hésite d’ailleurs pas à voler de l’essence à l’armée voisine. Son obsession de franchir le Rhin l’amène à pervertir sans états d’âme la mission que lui a confiée Eisenhower, à savoir servir de diversion pour faciliter l’opération principale prévue plus au nord. Paranoïaque, il estime que les plans stratégiques qui font interagir plusieurs armées ne sont que des complots pour le priver de ses lauriers. Il est incapable de s’entendre avec ses supérieurs et ses partenaires. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé Eisenhower à lui préférer Bradley pour commander les troupes américaines en Normandie, et, en 1946, bien qu’il le juge comme étant « le plus brillant commandant d’armée en rase campagne que nos services aient pu produire », à ne le placer que quatrième derrière Bradley, Spaatz et Bedell Smith dans une note classant ses généraux. Patton est davantage un condottiere qu’un général moderne.


Cet égoïsme s’inscrit dans la nature du personnage. À l’âge de dix ans, il prétend devenir lieutenant-général, pensant alors qu’il s’agit du sommet de la hiérarchie militaire américaine. Il ne parle que de rejoindre au Panthéon les plus grands conquérants11. Cette ambition lui permet de surmonter ses difficultés scolaires à West Point. Elle le motive bien plus que le patriotisme. Craignant que les États-Unis ne lui donnent pas d’opportunités, il envisage en 1914 de rejoindre l’armée française12. En 1940, déjà âgé de cinquante-cinq ans, il redoute d’être exclu de la guerre future en raison de son âge. En août 1944, il se jette à corps perdu dans la poursuite avec une audace égale à sa peur de voir la guerre s’achever avant qu’il n’ait le temps de réaliser quelque chose d’exceptionnel. Patton respire alors pour la guerre, exècre la paix à tel point que, romantique, il espère « recevoir un coup bien propre à la dernière minute du dernier combat et s’en aller sur un nuage13 » ; désir partiellement exaucé, puisqu’il meurt sur une route allemande victime d’un accident le 21 décembre 1945. Ce penchant naturel a été cependant entretenu par le système éducatif américain. L’académie militaire de West Point n’encourage que la performance individuelle, tant sportive qu’intellectuelle. Elle érige la compétition en vertu cardinale. Elle nourrit le mépris en incitant aux bizutages14. Les diplômés en sortent convaincus que l’armée est un panier de crabes où tous les coups sont permis pour faire carrière. Il est indispensable d’y disposer d’un solide réseau, ce qui est le cas de Patton issu d’une influente famille d’aristocrates sudistes – il intègre West Point grâce aux intrigues de son père – et qui dispose de l’amitié de Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain en France en 1917. Détail révélateur, Bradley ne s’offusque pas de l’égoïsme de Patton, au contraire, il le juge légitime et de bonne guerre15. L’institution militaire est idéologiquement libérale pensant que la somme des ambitions personnelles conduit au succès collectif.


Paraître plutôt qu’être

Patton n’est donc pas le génie militaire que l’on imagine. Des hommes comme Marshall, McNair ou Somervell ont eu un impact bien plus considérable en façonnant l’armée de la victoire depuis Washington, et leur influence a été plus durable. Une comparaison avec des officiers de même rang n’est pas non plus à l’avantage de Patton. Le bilan des Américains en termes opérationnels n’est pourtant pas des plus brillants, mais des chefs d’armée tels que Patch ou Simpson ont fait preuve d’une plus grande polyvalence et d’une conduite plus sûre des opérations.


Alors pourquoi donc Patton a-t-il une réputation aussi flatteuse ? Parce qu’il est avant tout un formidable communicant. Cet homme sorti du passé est sur ce plan d’une étonnante modernité. C’est en 1940 que sa légende prend corps, avant même le premier coup de feu. Patton multiplie les sorties médiatiques, forge son langage, veille à ce que sa division soit la mieux tenue de l’armée, organise des manœuvres spectaculaires qui attirent des milliers de spectateurs civils et devient ainsi incontournable, dans l’espoir de ne pouvoir être mis sur la touche au profit de la jeune génération16. Il est un précurseur conscient de l’importance de l’image et du poids de l’opinion publique. Patton profite d’ailleurs de sa participation, à un niveau élevé, aux premiers combats en Afrique du Nord, à la différence des autres chefs d’armée qui ne sont connus que dans le second semestre 1944, trop tard pour lui faire de l’ombre. Dès novembre 1942, Patton débarque à la tête d’un corps au Maroc. Son alter ego qui débarque en Algérie, Fredendall, se discrédite dans le désastre de Kasserine. Patton le remplace et est déjà attendu comme un messie. En Sicile, il est le premier chef d’une armée déployée en Europe. L’US Army saute sur l’occasion et communique abondamment autour de cette coqueluche des médias. Ainsi la prise de Palerme, d’un intérêt nul sur le plan militaire, est opportune politiquement. La « grande cité » fait les gros titres de la presse. Tout est alors exagéré et déformé pour convaincre qu’il s’agit d’une première grande victoire américaine. Tous y trouvent leur compte : Patton bien sûr, les médias, l’armée américaine en Europe, en quête de personnalité et de légitimité17. Mi-1943, l’US Army est en difficulté. Elle n’a rien d’équivalent aux succès de la Navy dans le Pacifique à proposer à l’opinion publique. Marshall, le commandant en chef de l’armée de terre, doit faire face au lobbying de la marine, qui voudrait faire basculer l’effort de guerre principal au profit du Pacifique. Les intérêts de Patton et de l’armée convergent. Celle-ci facilite les efforts de Patton pour devenir une icône populaire et ferme les yeux sur ses frasques. À l’instar d’un MacArthur, Patton devient un acteur central dans la mutation de l’US Army en objet public. L’affaire des gifles s’inscrit alors dans cet apprentissage de la guerre de l’image et des liens complexes qui unissent l’armée et les médias. Cette affaire, désastreuse pour Patton, est mise à profit par l’armée. Pendant sa période de disgrâce, le voilà nommé à la tête d’un groupe d’armées fantôme en Angleterre, où sa popularité sert de leurre pour convaincre les Allemands qu’un second débarquement se prépare. L’US Army trouve à Patton sa plus utile mission stratégique : il immobilise une armée entière dans le Pas-de-Calais. Lui qui estime qu’un général doit user de talents d’acteur joue alors, à son corps défendant, son plus beau rôle.


Bibliographie sélective

Axelrod, Alan, Patton : A Biography, New York, Palgrave Macmillan, 2006.


Blumenson, Martin, Patton, l’homme derrière la légende, Rennes, Ouest-France et Mémorial de Caen, 1993.


D’Este, Carlo, Patton : A Genious for War, New York, Harper, 1996.


Farago, Ladislas, Patton. Grandeur et servitude, Paris, Stock, 1965.


Hirshson, Stanley, General Patton : A Soldier’s Life, New York, Harper, 2002.


Rondeau, Benoît, Patton. La chevauchée héroïque, Paris, Tallandier, 2016.


1. Hubert Essame, Patton : A Study in Command, New York, Scribner & Sons, 1974 ; Benoît Rondeau, Patton. La chevauchée héroïque, Tallandier, 2016.


2. Instruction aux officiers de la 7e armée américaine en vue du débarquement en Sicile, 5 juin 1943.


3. Instruction aux officiers de la 3e armée américaine, 6 mars 1944.


4. Terry Allen, Lucky Forward, New York, Vanguard Press, 1964, p. 68.


5. Ladislas Farago, Patton. Grandeur et servitude, Paris, Stock, 1965, p. 255.


6. Cédric Mas et Daniel Feldmann, La Campagne du Rhin, Paris, Economica, 2016, p. 247.


7. Journal, 30 août 1944, cité par Martin Blumenson, Carnets secrets du général Patton, Paris, Plon, 1972, p. 338.


8. John Nelson Rickard, Patton at Bay. The Lorraine Campaign, 1944, Washington (D.C.), Brassey’s, 2004.


9. Lettre à sa femme, 21 août 1944, dans Martin Blumenson, Carnets secrets du général Patton, op. cit., p. 331.


10. Omar Bradley, Histoire d’un soldat, Paris, Gallimard, 1952, p. 384.


11. Martin Blumenson, Patton, l’homme derrière la légende, Rennes, Ouest-France et Mémorial de Caen, 1993, p. 32.


12. Ibid., p. 68.


13. Lettre à Robert H. Fletcher, 18 avril 1945, dans Martin Blumenson, Carnets secrets du général Patton, op. cit., p. 443.


14. Jörg Muth, Command Culture. Officer Education in the US Army and the German Armed Forces, 1901-1940, and the Consequences for World War Two, Denton (Texas), University of North Texas Press, 2011.


15. Omar Bradley, Histoire d’un soldat, op. cit., p. 384.


16. Martin Blumenson, Patton, l’homme derrière la légende, op. cit., p. 142.


17. Alexander G. Lovelace, « The Image of a General : The Wartime Relationship between General George S. Patton Jr. and the American Media », Journalism History, vol. 40, no 2, 2014, p. 108-120.

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